Philippe Pozzo di Borgo, dont la vie a inspiré le film Intouchables, animait une conférence à Toulouse Business School mardi dernier. L’occasion pour cet ancien dirigeant de la maison de Champagne Pommery de sensibiliser les étudiants, managers de demain, à «la conversion de l’entreprise à la fragilité et à la différence», sources de créativité et d’enrichissements mutuels.
“A la brutalité de l’accident de parapente, qui m’a rendu tétraplégique en 1993, s’est ajouté le désespoir de voir ma première femme rongée par le cancer ainsi que la pression de performance et la forte compétition que je rencontrais dans mes responsabilités de dirigeant de la maison de Champagne Pommery. Je suis tétraplégique depuis 21 ans et je peux vous dire qu’aujourd’hui, je ne serais plus le même patron et mes choix seraient différents». Voilà comment Philippe Pozzo di Borgo a débuté la conférence. Le ton était donné pour ce moment riche d’échanges et de convivialité avec les étudiants de Toulouse Business School présents dans la salle et le grand public via un live web.
L’entreprise ouverte à la fragilité : un nouveau business model
L’accident de Philippe Pozzo di Borgo a fait profondément évoluer sa vision de la société et de l’entreprise. Il milite aujourd’hui pour une transformation de l’entreprise à travers une ouverture à la fragilité et à la différence qui permettent de percevoir l’émotion chez l’autre et de développer sa capacité d’écoute. «Aujourd’hui, un manager travaille dans le bruit et l’agitation, autrement dit l’absence d’écoute. J’étais un patron apprécié, performant et populaire mais avec le recul, je réalise que j’étais sourd aux personnes qui m’entouraient. Ma fragilité m’a appris à faire silence et à écouter l’autre» révèle-t-il. Ce dernier estime d’ailleurs que le modèle d’entreprise d’aujourd’hui «n’a plus d’avenir et est voué à disparaître». Il s’est donc adressé aux étudiants, représentants de la Génération Y, en les invitant à faire preuve de «discipline, d’agilité d’esprit, de remise en cause, de considérations» pour être, demain, des managers performants en entreprise. Il les a également invité à réfléchir à la question suivante: «comment allez-vous réduire les difficultés rencontrées par une entreprise, déjà centrée sur elle-même dans nos sociétés actuelles, si vous n’êtes pas capable de vous désengager de vous-même ? Imaginer l’entreprise de demain, imbibée de considération…Elle sera intouchable » ! Philippe Pozzo di Borgo a conseillé aux étudiants d’être attentifs à leur environnement, d’apprendre à oser, à agir et de suivre le chemin de la dignité.
Après la description des qualités essentielles que devra avoir le manager de demain, Philippe Pozzo di Borgo a défendu ardemment une conviction profonde: les fragiles ont beaucoup à apporter à l’entreprise. «D’abord, ils ne sont pas comme vous donc ils créent de la diversité dans l’entreprise. Un handicapé est très performant car il cherche à surcompenser sa fragilité. Plus vous mettez de fragilité dans l’entreprise plus les personnes se sentent réconciliées avec leur propre fragilité et développent un esprit d’équipe. Nous avons tous une fragilité, nous sommes tous concernés» explique-t-il. Cet ancien patron s’est également attaché à présenter plusieurs pistes d’intégration de fragiles dans l’entreprise. Il propose de mettre «un peu de handicap » dans l’entreprise en commençant par recruter une personne avec une «différence légère qui demande peu d’aide». D’après lui, l’ensemble des collaborateurs va accepter de participer à la différence de l’autre, accompagner cette fragilité et celle-ci va créer un véritable esprit d’équipe, une synergie, une empathie, un système d’entraide interne, de la créativité, une communication plus harmonieuse…La fragilité devient ainsi une force pour l’entreprise et génère donc de la création de valeur. Par ailleurs, il considère qu’une deuxième étape n’est pas dans l’entreprise mais davantage auprès des associations qui ont besoin de volontaires et de financements de différentes natures.
De l’importance de « faire silence » pour apprendre de l’autre et gagner du temps
Au-delà de sa vision de l’entreprise de demain et de sa conversion à la fragilité, Philippe Pozzo di Borgo a souhaité partager avec les étudiants les trois leçons de vie qu’il a tirées de son accident. Tout d’abord, il a appris à «faire silence». «Je ne savais pas faire silence, à l’instar de notre société. Après 2 ans de coma, réanimation et hospitalisation dans le silence, on trouve qui l’on est et ce qui fait notre différence. On se réconcilie avec soi-même. Je me suis rendu compte qu’en faisant 5 min de silence tous les jours, on gagne du temps», explique-t-il. Puis, la brutalité de cet accident lui a aussi permis de «revenir à l’essentiel». Il estime que l’inconfort d’un handicap – qu’il soit physique, intellectuel ou social – oblige à vivre pleinement l’instant présent. «Avant, j’étais toujours en train de planifier l’avenir. Ma maladie me pousse en permanence à revoir mes priorités et à être ancré dans le présent», avoue-t-il. Philippe Pozzo di Borgo continue en expliquant que vivre intensément le moment présent nous permet de «percevoir l’autre et sa différence, de baisser la garde, de faire silence et d’apprendre de la richesse de l’autre». Enfin, il est revenu sur la notion de dépendance, dont il n’avait pas vraiment conscience, avant son accident. Cet ancien dirigeant confie : «Lorsque j’étais patron, je n’avais pas vu que l’on est tous dépendant des autres. C’est désagréable mais c’est une réalité. Ce n’est pas grave, il faut juste l’accepter et être aimable dans cette dépendance».
Considération, le mot de la fin
Nous avons été 50 millions à travers le monde à découvrir l’histoire de Philippe Pozzo di Borgo, interprété par François Cluzet, dans Intouchables. Il admet que le film a permis de «faire évoluer le regard du grand public sur le handicap» même s’il reste encore beaucoup à faire. Il s’avoue également ravi que le film nous «ait bien fait marrer». Philippe a également tenu à préciser qu’il n’a jamais eu recours «à des femmes aux prestations tarifées» et qu’Abdel Sellou, contrairement à Omar Sy (son interprète dans le film), est «un très mauvais danseur».
Je garde de cette conférence une belle rencontre avec Philippe Pozzo di Borgo, un homme chaleureux, plein d’humour, curieux, tenant votre regard, doté d’une énergie incroyable et d’une grande empathie. Il s’est lancé pour mission de convaincre les entreprises de la création de valeur par l’ouverture à la diversité et à la fragilité.
A la fin de la semaine, Philippe rejoindra les environs d’Essaouira, au Maroc, où il vit désormais avec Khadija, sa seconde épouse, et leurs deux filles. Il travaille actuellement sur l’écriture d’un prochain livre et est Président d’Honneur de l’association Simon de Cyrène qui crée et anime des lieux de vie communautaires où se côtoient des binômes handicapés (AVC, traumatismes crâniens…) et valides pour partager des relations solidaires et amicales.
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